Vous êtes ici : Accueil du site Auteur Ma notoriétéDans la presse
La Croix
Les Mozart du sport - La responsabilité des parents est totale
Entretien avec Claire Carrier - Jean-luc FERRE
samedi 24 mai 1997
« La responsabilité des parents est totale ». Si le cadre familial est indispensable à la formation du jeune champion, les parents ne doivent pas dépasser leur rôle affectif. Notamment quand il s’agit de faire appel à des véritables techniciens. ENTRETIEN : Claire Carrier, psychiatre, psychanalyste, médecin à l’Institut national du sport et de l’éducation physique (Insep).

Les parents qui transfèrent leur désir sur leurs enfants ne sont pas rares. Qu’est-ce qui explique que certains deviennent de réels champions ?

Claire Carrier : Ce désir parental est effectivement banal, ce qui l’est moins, c’est l’opiniâtreté, la persévérance dont font preuve ces parents et qui portent l’enfant. Cette ténacité s’appuie souvent sur des motivations souterraines : revanche sociale, recherche d’une affirmation du nom et évidemment l’argent, que l’on ne peut ignorer dans ces processus. Motivations assez classiques là encore, mais souvent exacerbées de par l’histoire personnelle de ces parents-là.

On constate souvent qu’un seul des parents occupe le devant de la scène.

Oui, mais ce n’est qu’une vision extérieure du phénomène. A partir du moment où le couple veut fonctionner comme un couple, il faut que les deux parents soient en accord avec ce projet-là et acceptent ce que sa réalisation sous-entend d’impératifs pour le couple. Et même au-delà, le projet ne peut vraiment réussir que lorsque la place de chacun des membres de la famille, frères et sœurs notamment, résiste à cette position centrale qu’occupe le champion.

Quelles sont les étapes les plus délicates à surmonter durant ces parcours dans les relations parents-enfants ?

L’étape charnière est à mon sens l’apparition de la première blessure vécue comme une limite du corps naturel. Souvent, les parents prennent conscience à ce moment-là que leur gamin n’est pas parfait. Soit ils refusent cette donnée et peuvent déprimer encore plus leur enfant, soit ils l’acceptent, et l’étape peut être franchie sans encombre. Avant la première blessure, il s’agit d’aller chercher les limites. Une fois qu’elles sont repérées, il faut gérer la situation à l’intérieur de ces limites. C’est aussi une éducation à l’autonomie qui demande une certaine maturité à l’enfant et durant laquelle le rôle des parents est fondamental.

L’autre moment sensible, c’est l’élargissement de la famille sportive, quand le parent n’assume plus seul la fonction d’entraîneur, par exemple. Il faut alors négocier les choses selon une dynamique de groupe. Je crois qu’il faut éviter la confusion des tensions affectives. Lorsqu’elles se partagent entre plusieurs personnes, l’envie de gagner est plus indépendante, plus libre, et peut être risquée de façon plus sereine par l’enfant. Ainsi l’exclusivité apparente du tandem mère-fille que forment pour l’instant les Hingis me semble fragile sur le long terme, moins garant de l’épanouissement de la jeune Martina, comme aussi de sa mère.

Certains parcours, du moins pour l’instant, semblent sans faute. Quels sont les risques de « casse » ?

Le gros problème à mon avis, c’est aussi la gestion de l’après-carrière. Que va-t-il se passer quand tout cela va s’arrêter ? Comment les enfants vont-ils rebondir sur ce phénomène quand ils ne seront plus le centre du monde ? Mais aussi, comment les parents vont-ils accepter la perte de cet équilibre global où l’enfant est roi, et la perte du projet qui est depuis des années à la base de leur vie et de leurs actions ? Ces questions sont malheureusement trop souvent occultées pendant la période d’état de grâce.

Recueilli par Jean-Luc FERRE

 

Répondre à cet article
Cet article est lié aux thèmes suivants :