QU’ÉCLATE la surprise du monde du cyclisme international à l’annonce de la mort du champion italien Marco Pantani, sans que soit relevé son refuge dans un lieu anonyme au doux nom de fleur, le jour de la fête des amoureux, la Saint-Valentin, passe !
Que l’on étale au grand jour ses efforts et sacrifices, si intenses jusqu’à devenir illégaux, pour satisfaire à la démesure des exigences consuméristes du star-system, passe encore !
Que l’on cherche à se donner bonne conscience en entretenant la confusion entre le champion, l’idole et le héros, cela suffit !
Sacrer héros un tricheur, idolâtrer une figure high-tech, c’est trop malmener la dignité humaine ! Quelle misère de notre culture postmoderne !
Parce que, et quoi qu’on en dise, un champion sportif est fondamentalement incarné. Son exception réside dans son acceptation de privilégier à toute autre manifestation du vivant - et cela tant que dure sa carrière - le développement jusqu’au point de rupture de ses compétences psychomotrices corporelles.
Il est prêt à tout donner pour qu’elles le transforment en néo-corps performant.
Organisé par une musculature et un appareil locomoteur en permanent remaniement, ce néo-corps est autant le produit de la volonté personnelle, tant du fait de la régularité, voire de la précocité, d’entraînements programmés intensifs, que des actions de l’assistance technologique et scientifique dont il est l’objet.
Pour ces raisons, il est essentiellement assisté d’un staff technique et scientifique dont l’entraîneur est un interlocuteur privilégié : cette équipe a la responsabilité magistrale de régler et de garantir pour son poulain la santé de sa progression vers l’extrême.
Globalement impliqué dans ce processus hors limite, le champion ne peut être apte à en apprécier les débordements... et cela d’autant qu’il pratique une discipline sportive où l’adversaire est physiquement absent, telle la course contre la montre.
L’efficacité et la sélection de ce néo-corps sont artificiellement programmées par la logique de consommation : le spectacle sportif est l’un des principaux moteurs de l’économie de la modernité. Ce produit prévu, commandé, est intrinsèquement la cause, le produit et l’instrument de la performance sportive.
Individu souverain, le champion s’auto-engendre ; pour exister, indifférent à la différenciation des sexes, il est homo-sexué. En effet, le muscle n’a pas de sexe. Pas plus féminine que masculine, la performance musculaire est qualitativement de l’ordre du présexué : elle est sexuellement neutre. Mais son image, cette érectilité du corps humain bandé par l’effort, par sa qualité virile, renvoie au masculin.
Et c’est là que le bât blesse ! Le risque d’une adaptation excessive au très haut niveau sportif est que cet extrême affûtage du masculin se construise petit à petit au détriment d’un féminin occulté ou, pis, dénié.
Comme la dépendance aux médicaments, que l’on retrouve très fréquemment dans les tentatives de suicide des femmes. Comme sa négligence de la place de l’intime, valeur féminine laissée pour compte par l’exhibitionnisme forcé de son côté star de la téléréalité.
Comme son plaisir à être, dans une relation d’amour gratuite, rabroué par la toute-puissance envahissante de son image, objet d’amitiés utiles toujours bonnes pour des contacts rentables aux autres.
Comme sa mort, coeur desséché de solitude, dévoré par son image, en martyr de son féminin.
Effigie d’un mode d’être au monde, la personne du champion ne doit pas devenir une nouvelle figure de maltraitance de la condition humaine ou, pis, une nouvelle victime d’un crime contre l’humanité.
par Claire Carrier