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Leurs talents, leurs dons : jusqu’où les pousser ?
Danièle Laufer
2002
Le talent d’un enfant, c’est un bonheur pour les parents. Toute la question est de savoir comment faire pour que cela reste un bonheur et un plaisir pour l’enfant aussi !

Tout à notre joie de les voir s’épanouir dans une activité extra-scolaire, nous voilà tout à coup confrontés à un abîme de questions. A l’âge où la vie s’ouvre devant eux, dessin, piano, violon, danse, cirque, équitation, patinage artistique, tennis, foot ou glisse doivent-ils rester un simple loisir ? Et s’ils étaient doués au point que cette activité ludique puisse leur permettre de s’exprimer totalement et de réussir dans la vie ?

Il est normal d’avoir des désirs et des ambitions pour ses enfants

Beaucoup de parents regrettent de ne pas être allés au bout de leurs rêves quand ils étaient enfants. Dany, qui a fait de la danse classique pendant toute son enfance et son adolescence aurait peut-être pu devenir danseuse étoile. Elle est aujourd’hui infirmière et heureuse de l’être. Sa fille cadette est une gymnaste accomplie. Des résultats scolaires assez médiocres ont emporté la conviction de ses parents. "Elle aime cela, elle est douée, elle va essayer d’en faire son métier". Il serait facile de penser que le désir de sa mère a décidé pour elle. Reste que Liza adore ce qu’elle fait. Et qu’il est normal, comme le dit Claire Carrier, médecin du sport, psychiatre et psychanalyste (auteur de "Le champion, sa vie, sa mort - Psychanalyse de l’exploit") "d’imaginer et d’avoir envie que les enfants aient les mêmes désirs que soi". Dans la famille de Bertrand, instituteur et directeur d’une colonie musicale, tout le monde est musicien amateur. "C’est une question de culture familiale. La musique fait partie de la culture. Mes trois enfants font de la musique. Et ils aiment cela, en dépit du travail que cela leur demande."

Mais comment faire pour que ces plaisirs ne se transforment pas en corvée ?

Car la musique, comme le reste, demande du temps, du travail et de la disponibilité. Aux enfants comme aux parents, qui doivent souvent consacrer en plus un budget important à ces activités. Un instrument de musique et des cours, cela coûte cher. La maman d’Anita est bien placée pour le savoir : "Elle faisait du piano et insistait depuis longtemps pour faire du violon. L’an dernier, j’ai craqué. Je lui ai acheté un violon et fait prendre des cours. Et là, elle en a marre. Elle veut arrêter et reprendre le piano. Pourtant, elle a du "potentiel" dit sa prof. C’est trop dommage d’arrêter au bout d’un an. Je l’avais mise en garde. Le violon, c’est ingrat et à son âge elle entend les mauvais sons, ce qui n’est pas le cas des plus jeunes. Je ne sais pas quoi faire. Ni à qui en parler." Entre plaisir et travail, les enfants se découragent facilement. Les parents aussi, qui savent que ces activités sont exigeantes et n’ont pas envie que ce "travail" devienne une corvée pour leurs enfants. "L’apprentissage doit répondre à un amusement. Sinon, les enfants deviennent des robots psychomoteurs, qui risquent de se blesser parce qu’ils sont dans le stress de l’adaptation et non dans le plaisir" dit Claire Carrier à propos du sport. Leur donner le goût de cultiver leurs talents, oui, mais y voir une vocation tout de suite, c’est peut-être aller vite en besogne !

Testez leur talent et leur motivation par paliers

Outre le désir des parents, il y a les enseignants qui vous disent : "Il est doué. Cela vaudrait la peine qu’il se consacre davantage à cette activité". Pour ce qui concerne les activités artistiques, c’est rarement à l’école que l’on décèle les talents éventuels. "L’enseignement de la musique à l’école ne le permet pas" affirme Bertrand. La musique, c’est avant tout du travail. A contrario, ce sont souvent les élèves qui n’ont pas les meilleurs résultats scolaires qui excellent dans les disciplines artistiques, dit Elisabeth Brami, psychothérapeute, auteur de nombreux livres pour enfants, qui anime des ateliers d’écriture depuis douze ans : " J’ai vu des enfants hyper doués en dessin, qui avaient un véritable talent, et j’ai souvent constaté qu’ils étaient inadaptés au système scolaire".

C’est assez différent pour le sport qui demande un certain nombre d’aptitudes psychomotrices réelles, mais aussi une position psychologique. Certains enfants ont besoin de bouger et le sport leur offre un exutoire dans lequel ils excellent parfois. Claire Carrier croit à ce qu’elle appelle la "revanche du corps". Des enfants nés prématurés et immobilisés en couveuse, par exemple, qui ont connu un "manque à vivre physique" ont besoin de "rattraper une expérience d’immobilité forcée de leur corps. Ce besoin de bouger doit être entendu. Mais il ne faut pas que cela aille trop loin"

Effectivement, certains enfants sont demandeurs. Alors, on les inscrit à des cours, on achète un équipement ou un instrument, on se transforme en parent-taxi pour les accompagner. Et quand ils craquent parce qu’ils n’ont perçu que la dimension "plaisir" de l’activité en question et que ses exigences leur pèsent, nous sommes replongés dans notre questionnement.

Il y a pourtant une solution. Quel que soit leur âge, pourquoi ne pas leur proposer une sorte de "contrat" court, renouvelable tous les trois mois ? "S’il y a une demande, cela vaut le coup de les faire mijoter, de tester leur détermination, de laisser passer du temps en mettant en place un premier palier" dit Elisabeth Brami. Louez le violon ou le piano et donnez-vous le temps de voir. "Il faut laisser les enfants continuer à grandir, ne pas les isoler" confirme Claire Carrier. Leur expliquer : "Tu veux faire du violon ? D’accord, mais sache que cela te demandera une demi-heure ou une heure de travail par jour". S’ils persistent, leurs résultats seront déterminants.

Si votre enfant est véritablement doué, ses résultats le montreront

"Seul le verdict d’un jury ou d’un concours dira si c’est un talent ou une vocation" explique Elisabeth Brami. "Les parents, eux, sont dans l’amour tout entier. Ils sont toujours éblouis par des virtuosités qui n’en sont peut-être pas" Si cela doit se faire, cela se fera. Votre rôle, à ce moment-là, est de l’accompagner. Pas de le pousser. Vous pouvez conduire votre enfant sur la voie de l’excellence, à condition de le laisser grandir et de veiller à son équilibre. "Jusqu’au début de la puberté, l’organisme infantile est en période de développement très rapide. Tous les six mois, l’équilibre entre les quatre axes de développement (psychomoteur, affectif, sexuel et intellectuel) est remanié. Or, un enfant ne peut pas se développer à la même vitesse sur les quatre fronts. Si l’on privilégie une compétence, ce peut être au détriment des trois autres. Il faut respecter correctement les dynamiques. C’est aux parents de maintenir l’équilibre avec les trois axes de développement qui ne sont pas privilégiés par la sélection sportive", dit Claire Carrier. Un point important pour les activités physiques. Le soutien familial est essentiel, mais les parents ne devraient pas se substituer à l’entraîneur ou au coach, précise la spécialiste : "La responsabilité des parents est d’accompagner leur enfant pour qu’il soit heureux et, surtout, pour qu’il continue à grandir dans les autres domaines. Qu’il puisse aussi voir ses copains, jouer, écouter la musique de son âge.". Un conseil qui vaut aussi pour les disciplines artistiques. "Il faudrait valoriser mais pas pousser ni s’immiscer. Ne pas cadrer cela comme un lieu de performance. Aussi doués soient-ils, les enfants " doivent vivre et jouer comme tout le monde " insiste Elisabeth Brami. Autrement, la vie serait trop difficile pour eux. Et pour vous.

Il y a toujours un "prix" à payer. Réel et psychologique.

Il faudrait se préparer à l’éventualité qu’à quinze ans, le jeune pianiste ou la patineuse artistique décide qu’il en a assez. Qu’il vous dise : "Cela suffit, j’arrête" ou "J’ai envie de changer d’instrument". Parce qu’il se sent différent des autres, parce qu’il a envie de plus de temps pour lui ou pour ses copains. Ou, tout simplement, parce que la contrainte l’aura emporté sur le plaisir. Il ne sera ni un champion ni un virtuose, mais restera un "amateur éclairé", ce qui n’est pas si mal. Il faudrait juste pouvoir se dire que ce n’est pas un engagement à vie, rappelle Elisabeth Brami. Et réussir à se dégager de la pression sociale qui favorise trop la course à l’excellence.

S’ils doivent être excellents à un moment donné, ils le seront, quoi qu’il arrive

Claire Carrier l’affirme : "Les parents ont bien compris que si l’on n’est pas au-delà de la norme, si l’on n’a pas la chance d’avoir une excellence, un talent ou une originalité qui va dans le sens de l’élite, on n’est pas remarqué dans la société actuelle.". Bertrand, instituteur, dit exactement la même chose : "Aujourd’hui, les parents sont dans la course à l’excellence". Une constatation qui n’est en aucun cas un jugement de valeur. Aucun d’entre nous n’y échappe. Et lorsque Paule, mère de deux enfants de trois et cinq ans, ose confier "J’aurais tellement aimé qu’ils soient doués pour quelque chose", elle ne fait qu’exprimer une inquiétude pour l’avenir de ses enfants dont elle aimerait être plus assurée. Parce que nous-mêmes n’avons peut-être pas été entendus dans notre curiosité professionnelle personnelle. "Les parents essaient, à partir de leurs enfants, de ne pas revivre les blessures qu’ils ont vécues. C’est absolument normal de fonctionner comme cela, parce que c’est ainsi que nous sommes faits" dit Claire Carrier. "Si l’on doit être excellent à un moment donné, on le sera de toute façon, quoi qu’il arrive", rappelle la spécialiste. Qui dit aussi, ce que nous oublions, parce que notre société ne le met pas assez en valeur : "Ce n’est parce qu’on n’est pas au top qu’on n’est rien ! On a le droit d’être normal"

(encadré)

Dans l’ombre d’un enfant "hyper-doué"

La vie n’est pas toujours facile pour les frères et sœurs d’un enfant particulièrement talentueux qui focalise souvent l’attention de ses parents. Comment faire pour qu’ils n’en souffrent pas trop et ne se sentent pas lésés ? "Il faut absolument distinguer ce qui fait le génie personnel de chaque frère et sœur et leur accorder un temps privilégié. Ou se dire qu’après un temps un peu difficile, ces frères et sours qui ne sont pas désignés comme surdoués s’épanouiront tranquillement dans l’ombre de celui qui monopolise l’attention et le soutien de ses parents. A leur propre rythme !" dit Elisabeth Brami.

(encadré)

Pas assez pour les parents, trop pour les enfants !

Une étude récente montre que 70% des familles font faire des activités à leurs enfants. C’est entre 8 et 13 ans que l’exercice d’activités encadrées est le plus important. Trois enfants sur quatre font du sport dans le cadre de clubs. Un enfant sur cinq seulement fait de la musique, de la danse ou d’autres pratiques artistiques (surtout dans les catégories sociales supérieures)

56% des parents souhaiteraient que leurs enfants fassent plus d’activités. Les animateurs se font l’écho de la pression parfois excessive des familles en la matière, alors que les enfants aimeraient souvent disposer de plus de temps chez eux "à ne rien faire". Cette pression parentale et son degré d’exigence sont d’autant plus forts que l’on monte dans l’échelle sociale. Le discours de la performance des clubs de sport passe mal auprès des jeunes qui, spontanément, ont une approche davantage "consumériste" du loisir

(source : Credoc, septembre 2002)

Danièle Laufer

 

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